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Actualité, Débat, Reconstruction Politique, Philosophie, Ethnologie (plantes), Economie, Handicap et Divers c'est le programme que vous aborderez chaque jour en suivant le blog ! Je suis à l'origine de la création de la revue de philosophie de METZ "Le Jardin" et participe à la rédaction de Rebelle[s], magazine bimestriel national. Je souhaite faire de ce blog, un lieu de débat. Il a pour but d'ouvrir plusieurs pistes de réflexions sur des questions politiques, ainsi que publiques qui engagent l'avenir de la société Française et Européenne. Une façon de reprendre notre destin en main pour un auteur idéaliste qui voit le monde se plaire dans le désenchantement.

Le capitalisme est-il moral?

Le capitalisme est-il moral?
Le capitalisme est-il moral?

André Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ? , 2004, Livre de poche, 251 pages

 

En février 2004, André Comte-Sponville éditait son ouvrage «le capitalisme est-il moral ?». Compte tenu de la crise financière que nous avons vécue en 2008 et dont nous payerons les conséquences aujourd'hui mais aussi à long terme, il me semble intéressant de revenir sur ce texte connu des seuls initiés à la philosophie.

Cet ouvrage est né d'une série de conférences données pendant 10 ans, à la demande du patronat français (le MEDEF). C'est pour cela que son auteur justifie son style qui est plus oral qu'écrit ; et contrairement à l'idée que les philosophes se font de ce livre ce n'est pas un ouvrage de vulgarisation mais plutôt une mise en question des problèmes qui avaient été non traités jusqu'à ce jour. «On ne peut parler de vulgarisation que lorsque le sujet a été maintes fois abordé par différentes tendances de pensée reconnues sur la place publique» a expliqué l'auteur. La première question qui lui était posée lors de ces conférences publiques était : peut-on parler de morale en matière économique, et plus particulièrement dans un système capitaliste ? L'auteur s'empressait alors de nous rappeler les différents ordres, définis par la philosophie, qui fondent les structures d'une société. Ils sont, pour lui, au nombre de quatre (ordres technoscientifiques, juridico-politique, moral et éthique) étant donné qu'il exclut, à titre personnel, le caractère divin et religieux. Ces quatre ordres étant distinctement séparés, une économie (qu'elle soit capitaliste ou non) ne peut être morale, puisque ce sont les hommes qui définissent la morale en fonction de leur âme et conscience. L'économie n'étant pas une personne (c'est-à-dire incarnée) mais un concept abstrait, ne peut être morale ; elle peut être tout au plus amorale.

 

Trois ordres principaux donc pour l'économie:

 

•    Technique et scientifique (dont l'économie fait partie), ce qui est matériel et vérifiable. Cet ordre fonctionne sur le mode du possible/pas possible et du vrai/faux. Mais ce n'est pas la science qui dit le droit ni la technique s'il faut aimer.

•    Juridique et politique, ce qui est relationnel et affectif, ce qui se négocie et se légitime en groupe selon des procédures de la cité, la loi et l'État. Cet ordre fonctionne sur le mode du légal/illégal. Mais la loi n'interdit pas l'égoïsme ni le mépris, ni que le peuple puisse décider ce qu'il veut en étant total souverain (Hitler a été élu…).

•    La morale est l'exigence de la conscience, le moralement souhaitable. Cet ordre fonctionne sur le mode du bien/mal ou souhaitable/non souhaitable. La morale est culturelle et historique et se dresse contre la sauvagerie pour instaurer l'homme debout via le processus de civilisation des mœurs. Elle grandit l'amour, la générosité, le goût de la liberté, tout ce qui est en faveur de l'humain. L'humanisme est une morale. Elle n'est pas «l'ordre moral», contrôlé par des «moralisateurs». Être moral, c'est s'occuper de son devoir ; être moralisateur, c'est s'occuper du devoir du voisin… Nombre de gens pourront s'y reconnaître, au même titre que les sectateurs de tous intégrismes. Les «yaka» sont des moralisateurs. Pour changer le monde, on ne le dit jamais assez, commençons par se proposer en exemple !

Nous avons donc trois ordres et ils sont en chacun de nous à tous moment. Mais les distinguer permet d'y voir plus clair. Un « bon médecin » n'est pas un médecin «bon» ; s'il est gentil et généreux en plus, tant mieux ! Mais ce qu'on lui demande surtout c'est d'être un professionnel averti qui soigne au mieux de ses connaissances et de sa technique. A la limite, s'il est un salaud dans la vie courante, du moment qu'il m'opère à la perfection, je ne vais pas lui demander plus… Sauf que ce ne sera pas à lui de me dire pour qui voter, ni s'il faut aimer l'infirmière. Nous voyons donc que sauter d'un ordre à l'autre est pervers, «barbarie» ou «angélisme» dit Comte-Sponville ; «ridicule» disait Pascal qui vivait dans une société de Cour (au fait, on en a changé ?) :

Quand la technique veut tout contrôler, rien ne va plus. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » disait fort justement Rabelais. Ce qu'on appelle le scientisme ne se contente pas d'augmenter le savoir mais en fait la fin de tout, une idéologie selon laquelle ce qui n'est pas mesurable, mathématisable, n'existe pas ou, du moins, ne doit pas être pris en compte (pauvres gamins quand le scientiste rentre chez lui le soir…). Dérivés : la technocratie, l'économisme, la «contrainte militaire» et ainsi de suite.

C'est donc au juridico-politique de contrôler les dérives de la technique. Il a besoin d'experts car le politique ne connaît pas tout ; mais il les laisse à leur place d'analystes et de logiciens, ce ne sont pas eux qui gouvernent ni qui votent les lois. Ils contribuent par leur savoir à leur élaboration et c'est bien ainsi. Inversement, le tout politique qui se moque des faits ou qui impose son volontarisme au mépris des sentiments des gens et de la morale, cela donne Saint-Just et la Terreur, Staline et le goulag, Hitler et la Shoah, et de plus petits intolérants qui n'en sont pas moins toxiques comme Villepin et le CPE ou Aubry et les 35h – en bref tous ceux qui croient qu'il suffit de dire « je veux » pour que la nature se plie à leur désir et que les gens foulent aux pieds leur conscience ou leur amour du travail bien fait…

Il y a donc la morale qui vient chapeauter tout cela, dans le sens «éthique» de l'amour pour l'humain. Lui, il est incontrôlable et nul n'en a jamais assez. Pas besoin d'un ordre supérieur pour limiter l'amour, même les religions en font l'exclusive de Dieu. Saint-Augustin, nourri des classiques et ayant passé une jeunesse fort païenne et dissipée avant de se convertir par raison, a résumé le meilleur du Christianisme lorsqu'il a donné cette formule : «aime et fais ce que tu veux.» Mais, une fois encore, ce n'est pas à la morale de gouverner, ni de dire si le soleil va se lever demain ou si les gènes peuvent se modifier par caractères acquis ! Staline l'a tenté avec la loi «scientifique» du matérialisme historique, puis avec le biologiste Lyssenko. Certains intégristes américains tiennent mordicus que le créationnisme est plus «vrai» que le darwinisme pour expliquer l'évolution de l'homme. C'est du ressort de la foi, pas de la vérité scientifique. Une «autre» vérité me direz-vous ? Je crains alors ceux qui m'affirment qu'un «autre» monde est possible ! Je préfère quant à moi le monde réel, matériel, vérifiable – au monde fumeux des idéalistes de tous poils qui pavent sans cesse de leurs «bonnes» intentions les pire enfers de l'histoire humaine…

Donc la barbarie c'est réduire un ordre supérieur à un inférieur : croire que la politique consiste à appliquer les techniques ou les «lois du marché» seules et pures ; croire que la morale n'est ce que déclare utile la politique (comme éradiquer les koulaks et autres sentiments du même genre).

Et l'angélisme, c'est croire qu'un ordre supérieur doit régenter tous les ordres inférieurs : il n'y a que les enfants et les poètes qui croient que la pluie est méchante – elle tombe, c'est tout ; il n'y a que les naïfs qui croient que la politique n'est faite que de bons sentiments – elle est faite de négociations et de compromis, toujours.

Ces distinctions ne sont pas inutiles ; elles ne sont pas un alibi pour ne rien faire (que le savant sache, que le politique politise, que le moral moralise…) ; elles sont les instruments de la lucidité pour faire porter l'action là où elle doit être.

Le capitalisme est le système économique le plus efficace que l'humanité ait trouvé jusqu'ici pour produire le mieux avec le moins de ressources (en matières, en capitaux, en temps humain) – laissons-le faire ce pourquoi il est fait et où il excelle ! En revanche, ce n'est pas la technique qui gouverne, il est donc nécessaire que l'usage de l'outil capitalisme soit encadré par des lois, démocratiquement débattues et claires pour tout le monde ; il est aussi nécessaire que l'État prenne en charge tous ce qui peut contribuer au bon fonctionnement social de l'efficacité productive (l'éducation, la santé, l'accès au logement et au travail, aux loisirs, la retraite, etc.). Il est enfin nécessaire que la morale commune, celle qui fait sens pour notre société aujourd'hui, trouve son compte dans le fonctionnement de l'ensemble : c'est par exemple la préoccupation pour l'environnement «durable» ou le fonctionnement «éthique» qui va orienter le capitalisme. Pas l'éradiquer, on en a besoin ; pas le changer, il est très efficace ; mais l'orienter en opposant un autre intérêt (philanthropique) à l'intérêt du profit. Il ne s'agit pas de supprimer tout profit (sinon il n'y aurait plus aucun capitaliste, aucune prise de risque, et on sait ce que cela a donné en URSS), il s'agit d'orienter l'intérêt capitaliste (le profit) vers les buts que la morale approuve (ne pas faire travailler des enfants, réduire la consommation d'énergie, retraiter ses déchets, irriguer le tissu social autour de l'entreprise, etc.).

Agir «juste», c'est agir dans chacun de ces ordres sans mélanger tout. C'est aussi être vigilant : la pesanteur des choses tire tout vers le bas, vers la barbarie : la morale se réduit au politiquement correct (ou prôné par le parti), la politique à la technocratie ou à l'économisme… L'humain, à l'inverse, s'efforce toujours de tirer tout vers le haut : il a un éternel besoin de donner sens !

 

Le problème Ecologique

 

Pour André Comte-Sponville, «l'homme est égoïste par nature», ce qui le fait se mouvoir en société n'est pas l'intérêt général, qui peut même être inexistant, mais l'intérêt personnel qui lui est largement supérieur. La valeur du travail ne peut se quantifier par l'amour qui est l'intérêt le plus haut de l'humanité : l'auteur n'avait de cesse de répéter «on ne tombe pas amoureux de son entreprise, on peut tout au plus y apprécier ce qu'on y fait. Mais c'est d'abord l'intérêt pécunier, permettant de faire subsister ce que nous aimons qu'ils nous poussent à y retourner».

Le philosophe mettait également en lumière déjà à cette époque les ratés de nos économies qu'elle soit communiste ou capitaliste en matière d'écologie. Il rappelait également que le capitalisme n'avait pour le moment pas trouvé de rivales permettant de le dépasser dans de bonnes conditions : «Mieux valait être pauvre au XXe siècle à l'Ouest qu'à l'Est. On n'y mourait pas de faim». Pour l'auteur, le défi du XXIe siècle sera que l'humanité acquiert une conscience écologique. Il va falloir que l'humanité pense, aujourd'hui, à la bonne gestion de la maison commune «notre planète» car à ce rythme de productivité de l'Ouest et de non respect de l'environnement des autres (Est et pays émergeants), nous courons à la catastrophe.

 

Un autre Regard avec André Comte-Sponville

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